Extrait de mémoire : « Les réseaux sociaux numériques. Vers un renouveau de la communication dans le
- iaebordeauxmarketi
- 19 avr. 2016
- 4 min de lecture
Anca Boboc et al., « Les réseaux sociaux numériques. Vers un renouveau de la communication dans les entreprises ? », Sociologies pratiques 2015/1 (n° 30), p. 19-32
Mots clés : réseaux sociaux, entreprise, communication
Cet article traite de l’utilisation des réseaux sociaux numériques à l’intérieur même de l’entreprise, en tant que moyen de communication interne. Un réseau social numérique peut être défini au travers de trois dimensions [Guesmi et Rallet, 2012] : il est libre d’accès (les utilisateurs sont libres de s’y inscrire ou non), les interactions se font sur le mode d’une coordination décentralisée, ses productions sont accessibles à tous les participants. Une entreprise est, elle, une organisation cloisonnée et hiérarchisée, il semble donc plutôt paradoxale d’associer entreprise et réseaux sociaux. L’article cherche à savoir si l’utilisation des réseaux sociaux peut conduire à un décloisonnement de l’entreprise.
Le cas de Vill@ge : un réseau social numérique complet et ambitieux
Vill@ge a été lancé fin 2010, à l’initiative de la direction des Ressources humaines de l’entreprise. Son objectif affiché était de « créer du lien social » en offrant à tous les salariés un outil permettant de les mettre en relation et d’échanger aussi bien sur leur travail que sur leurs centres d’intérêt non professionnels. Vill@ge est une plateforme aux multiples facettes et fonctionnalités. Comme la plupart des réseaux sociaux numériques, il permet d’abord aux individus de se décrire grâce à une fiche profil accessible à tous et qui peut être personnalisée avec une photo, une description des compétences, le parcours professionnel etc. Le profil est assorti d’un « mur » sur lequel tous les utilisateurs peuvent laisser des messages. Vill@ge se présente comme un réseau de contacts. Les utilisateurs peuvent ainsi s’envoyer des invitations à rejoindre leurs réseaux respectifs. Le fait d’être en contact avec un collaborateur permet d’être tenu informé de son activité sur Vill@ge. Enfin, Vill@ge est un endroit où les utilisateurs peuvent créer des communautés, c’est-à-dire des espaces dédiés de discussion et de partage de documents autour de métiers, de groupes d’entraide, d’expertise ou d’intérêts extra-professionnels. Ces communautés sont gérées par un ou plusieurs animateurs. Le plus souvent, les membres ont la possibilité d’y apporter librement du contenu.
Les inscrits sur Vill@ge : une population spécifique
Même si la plateforme est ouverte à tous, les données montrent que la population inscrite sur Vill@ge est peu représentative de la population de l’entreprise (les cadres sont majoritaires).
Des attentes faibles et des usages limités...
La fonctionnalité de Vill@ge la plus utilisée est celle du réseau de contact. 54 % des inscrits ont utilisé cette fonctionnalité, mais seuls 9 % des inscrits ont ajouté plus de 10 collègues. Ces réseaux restent ainsi en grande partie peu exploités et peu étendus. En ce qui concerne le profil, 29 % l’ont enrichi, mais seuls 11 % ont rempli plus de 3 champs sur les 15 possibles. Ces modifications ont, la plupart du temps, uniquement lieu dans les premiers temps de leur inscription. De plus, 53 % des inscrits n’ont rejoint aucune des 1 700 communautés créées depuis le lancement de Vill@ge, 23 % en ont rejoint une et 24 % plusieurs. Enfin, la plupart des utilisateurs de Vill@ge n’ont jamais écrit sur la plateforme : seuls 10 % ont déjà laissé un message dans une communauté ou sur un mur. En termes de fréquentation, seuls 19 % des salariés inscrits sur Vill@ge déclarent s’y rendre au moins une fois par mois ou plus. Rares sont ceux qui s’y connectent quotidiennement ou même de façon hebdomadaire. Au total, on estime que plus de la moitié des inscrits n’a fait que s’inscrire ou passer brièvement sur la plateforme sans jamais y revenir. Seuls 10 % environ s’y sont plus investis. Parmi les inscrits, les plus actifs sont encore une fois des cadres ayant des activités techniques ou transversales. Ce faible investissement global s’explique tout d’abord par le fait que la finalité de la plateforme reste peu claire et que les salariés n’en attendaient rien de spécifique.
La difficulté à dévoiler des informations à caractère personnel dans le milieu professionnel explique par ailleurs le peu d’investissement sur la plateforme. La plupart des medias sociaux permettent à leurs utilisateurs de rester anonymes ou, du moins, de ne pas dévoiler totalement leur identité. Or cet anonymat est un élément qui facilite grandement le dévoilement intime dans la mesure où il permet aux individus de se livrer plus facilement [Cardon, 2008]. Dans le cas de Vill@ge, cet anonymat est impossible et les salariés ne profitent pas de la plateforme pour y exposer des informations personnelles.
... qui ne transforment pas les formes de communication et d’échange dans l’entreprise
Vill@ge sert finalement d’échange de fichier, comme le font déjà d’autres logiciels tout aussi performant.
Conclusion de l’étude
Les auteurs concluent en disant simplement que Vill@ge n’est pas parvenu à renouveler la communication dans l’entreprise. C’est une plateforme qui reste utilisée par une population spécifique: les cadres. De plus, la majorité des utilisateurs ne savaient pas vraiment à quoi s’attendre et donc n’en attendaient rien de spécifique. Vill@ge a été utilisé comme simple outil de travail, en prolongement des pratiques existantes auparavant. Les utilisateurs sont également restés très en retrait des dimensions les plus sociales de l’outil (présentation de soi, enrichissement des réseaux relationnels). Il s’agit alors plus d’un espace de travail collaboratif que d’un réseau social numérique. Il n’est pas évident que ce type d’outil puisse transformer les formes de communication dans les entreprises, car de tels espoirs masquent une contradiction profonde : le déploiement d’un réseau social numérique repose nécessairement sur un investissement autonome des utilisateurs, mais dans un univers fortement prescrit, hiérarchisé et non anonyme, les individus sont peu enclins à fournir cet investissement. Même pour les salariés moins fortement soumis que les autres à la prescription et aux rapports hiérarchiques (certains cadres notamment), la valeur ajoutée d’un réseau social numérique interne à l’entreprise dans une activité déjà fortement décloisonnée n’est pas évidente.
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